L’exposition Parallèles a réuni trois artistes qui ne se seraient sans doute pas rencontrés dans d’autres circonstances. Et pourtant, ils agissent tous les trois en simultané sur le paysage. Ils se positionnent face au monde qui les entoure et nous emmènent avec eux dans ce voyage. Notre implication est sollicitée, avec en tête cette question « rester en parallèle de ce que nous voyons ou intervenir ? »
« Autrefois j’avais trop le respect de la nature. Je me mettais devant les choses et les paysages et je les laissais faire. Fini maintenant, j’interviendrai ».
Henri Michaux, Intervention, Mes propriétés, in La nuit remue (1935), Paris, Gallimard, 1967, p.143.
Alban Gervais utilisa cette citation d’Henri Michaux dans une de ses premières séries d’affiches, Arbres. Celle-ci, composée de cinq affiches plus des variantes, est ici exposée parmi deux autres séries, Ricochets, (Dix œuvres au total, trois ici accrochées) et une sérigraphie Recto-Verso. Comme l’auteur, l’artiste veut intervenir sur le paysage et y poser sa graphie, son écriture et sa poésie. On observe dans l’œuvre d’Alban Gervais des formes, des lettres, des signes devant les arbres et les immeubles. Il nous propose de lire le paysage avec lui, de communiquer avec ce monde parallèle que bien souvent nous oublions de regarder. Où est le paysage dans ses œuvres, en premier ou en arrière-plan ? Il transforme nos environnements en objets. Le mobilier urbain sert de vaisseau pour un vol vers une autre dimension. Culture et nature se sont superposés autour de nous et sur nos générations. Etres urbains que nous sommes, il s’agit de réapprendre à voir et à regarder le paysage. Quel paysage ? Le graphisme passe aujourd’hui inaperçu à nos yeux saturés de publicité et de marketing. Et pourtant, chaque contour de gros titre, chaque emballage, chaque affiche est la création d’un artiste qui façonne nos paysages quotidiens, tel un architecte qui construirait une ville de lettres. Alban Gervais dessine ce paysage graphique, son paygraphisme, et il le pose sur nos doux souvenirs de nature et sur nos environnements naturels. Les arbres et les lettres dansent ensemble en couleur et dessinent un nouveau paysage rythmé surréel.
Alors qu’en même temps, de ses escales au bout du monde, Malaury Buis, revient avec des témoignages. L’artiste photographie des lignes et des formes graphiques très claires et centrées. Ce sont ses fonds stables et ordonnés qui nous font oublier son geste de photographe-reporter. Les huit photographies, exposées ici sur dibond, quatre en noir et blanc et quatre en couleurs, sont iconiques. Si l’homme semble contemplatif parfois, assis, accroupi et si petit face au paysage, il est pourtant l’acteur principal des scènes captées par l’artiste. Malaury Buis agit en reporter et nous propose d’agir. Il nous invite à continuer ses histoires. Les pêcheurs de Street Fishermen semblent construire un vaisseau pour rivaliser avec la ville, Abu Dhabi. La Baleine apprivoisée va prendre son envol. Cet homme japonais de Osakajo Park collecte des cailloux comme des joyaux, tel un oiseau pour construire son nid. Un autre homme, dans Long way home marche vers l’infini d’un pas assuré. Les cerfs-volants de Seaside Playground dansent. Cette chorégraphie sur la plage crée des lignes à la symétrie calligraphique. Tels des monstres gentils venus nous rendre visite, ils tentent de communiquer par cette signalétique avec l’homme. Pourquoi ne pas lire chaque œuvre comme un arrêt sur image d’une série de science-fiction ? Chaque élément du paysage, telle cette skyline au coucher du soleil, dans Sunrise walk, est l’écriture du geste photographique de Malaury Buis. Il nous invite à lire et à relire ses photographies au gré de nos imaginations. Son travail de reporter lui permet le centrage juste et son objectif est mis au service d’une poésie plus personnelle lors de ses pauses et escapades en marge de ses voyages et de ses sorties.
Edouard Bierry renverse lui aussi les lignes et joue avec notre perception. Il nous invite dans son monde parallèle à suivre ses chemins comme des vortex. Ce sont des passages vers une autre temporalité. Le temps est suspendu, ralenti. Photographe reconnu et aguerri notamment d’horlogerie il sait mettre en valeur l’objet et le promouvoir. Sa sensibilité est encore davantage exacerbée dans ses photographies plus artistiques présentées ici, onze œuvres au total, toutes en noir et blanc. C’est en appuyant sur les ombres qu’Edouard Bierry révèle l’image et sa sensualité. Et ses œuvres nous rappellent ce passage de Marcel Proust, (La prisonnière) : « A nos pieds, nos ombres parallèles, puis rapprochées et jointes, faisaient un dessin ravissant. […] Et je trouvais un charme plus immatériel sans doute, mais non moins intime qu’au rapprochement, à la fusion de nos corps, à celle de nos ombres ». Si le tirage en noir et blanc renforce la brutalité des contrastes, Edouard Bierry y insuffle avec magie une douceur suave. Les contours sont fondus. Les nuances sont intenses. Ses photographies sont des rêveries. Son perfectionnisme et sa justesse permettent de contenir le flou et l’atmosphère vaporeuse de ses paysages dans des lignes maîtrisées. C’est entre la symétrie et la danse des lignes que ses histoires et ses mondes imaginaires agissent. On a envie de marcher dans ses photographies. En s’arrêtant face à l’observatoire de Roque del los Muchachos, notre regard embarque dans la profondeur des nuances de gris du ciel. L’artiste retourne le quai pour nous emmener dans un univers miroir, un monde parallèle. Le tunnel est l’apothéose de son geste pictural photographique, il fait danser les arbres avec son appareil et nous invite à pénétrer dans la nature.
La galeriste et commissaire d’exposition, Sophie Le Filleul, réunit aujourd’hui ces trois artistes pour une brève escale d’une semaine dans sa galerie Pop up. Elle souhaite par ce geste faire se rencontrer des univers parallèles et les présenter au public autour de sa sensibilité. Trois artistes qu’elle a pris plaisir à découvrir depuis de nombreuses années et dont les œuvres la fascinent. Elle voit en chacun d’entre eux un génie créatif particulier qui mérite d’être exposé et collectionné. Ils pratiquent tous les trois à leur manière la photographie, et l’image a un rôle majeur dans leurs vies. Plus que des photographies, sérigraphies ou affiches, les trente œuvres montrées sont des interventions artistiques sur le paysage, interrogeant la définition de celui-ci et la manière de l’appréhender. C’est le rôle des artistes de nous transporter dans des univers parallèles et nous réapprendre sans cesse à regarder, à rêver et à agir.
Cette exposition est maintenant terminée.
Pour de plus amples renseignements sur les artistes et sur leurs oeuvres, contactez-nous : contact@galeriesophielefilleul.com
ou par téléphone au + 33 (0) 6 19 22 19 6
Images présentées sur l’affiche de gauche à droite :
Édouard Bierry – El Roque de los Muchachos, 2017
Alban Gervais – Image 9/10 série Ricochets, 2016
Malaury Buis – Seaside Playground, 2016
Communiqué de Presse